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L’art d’égarer le spectateur : le mythe du labyrinthe au cinéma

Les labyrinthes ont toujours fasciné et se retrouvent dans de très nombreuses civilisations, sous des formes variées : végétaux, en pierre, en mosaïque…. Ils constituent un art à part, celui de s’égarer. Ces constructions mystérieuses expriment l’angoisse et la perte de repères, et invitent le visiteur à ne pas seulement être spectateur. Il doit agir, chercher et trouver. Rien d’étonnant à ce que le motif ait été repris maintes et maintes fois dans la littérature, la peinture ou encore le cinéma. On s’intéresse ici aux références faites au labyrinthe de Dédale dans deux œuvres cinématographiques, Dark et Inception.

Nous retrouvons les premières traces de ce mythe dans l’Illiade et l’Odyssée, avant qu’il ne soit repris par de nombreux poètes antiques. Selon la légende, Thésée, fils du roi d’Athènes, se porte volontaire pour partir en Crète avec les autres athéniens envoyés en pâture au Minotaure, comme c’est le cas tous les neuf ans. Ayant l’intention de combattre le monstre pour mettre fin au massacre, le jeune héros est aidé dans sa quête par Ariane, la fille du roi de Crète, tombée éperdument amoureuse de lui. La bête étant enfermée dans un labyrinthe dont il est impossible de s’évader, elle donne à Thésée un fil rouge pour qu’il puisse le dérouler et retrouver son chemin une fois sa tâche accomplie.

Dark est une série de science-fiction allemande traitant du sujet du voyage temporel, où les personnages se retrouvent prisonniers d’un labyrinthe temporel. Parmi eux, Claudia et Jonas sont au cœur de l’intrigue. Ainsi dans l’épisode 4 de la saison 1, Claudia observe sur un mur les mystérieux écrits laissés par Jonas après sa disparition, l’occasion d’observer une représentation très détaillée du mythe.

© Dark

On y discerne Thésée et le Minotaure au centre du labyrinthe, ainsi qu’Ariane et une autre femme assises à l’extérieur. Cette œuvre n’est en fait que le fragment d’une immense scène picturale, avec un sens de lecture bien particulier !

Voici l’œuvre complète, qui représente une scène imaginée au 16e siècle par un peintre anonyme.

C’est une peinture sur bois représentant le mythe de Thésée et du labyrinthe selon le poète Ovide. Si l’on zoome, on voit d’ailleurs l’anneau auquel est attaché le fil d’Arianne, qui n’est pas sans rappeler celui de la grotte de Winden dans Dark, lieu où ont lieu toutes les disparitions.

Le choix du tableau n’est pas anodin : il présente en effet la particularité de dépeindre une narration, qui contient toute l’histoire de Thésée et se lit chronologiquement, de gauche à droite. Le labyrinthe de Minos prend évidemment la forme des grottes de Winden au sein de l’intrigue de Dark. Ainsi, la toile montre à la fois le passé et l’avenir sur un même espace, comme la série. L’œuvre est une sorte de bug dans la matrice, où les temporalités se croisent, se dédoublent, créent des ponts complexes, exactement comme l’intrigue de Dark.

La deuxième œuvre mêlant référence au mythe de Dédale et à un célèbre tableau n’est autre que Inception, le chef-d’œuvre de Christopher Nolan. Ce film de science-fiction labyrinthique joue à perdre son spectateur, le faisant douter à chaque instant. L’un des personnages principaux s’appelle même Ariadne, référence évidente à Ariane qui aide Thésée à s’échapper du labyrinthe habité par le Minotaure.

Le récit du film Inception, tout comme celui du mythe, se structure par le biais de l’espace qu’il met en scène. Mais ce n’est pas seulement l’espace tridimensionnel qui piège celui qui erre dans le labyrinthe, comme dans le mythe grec, mais la confusion entre espace tri et bidimensionnel. D’où l’utilisation pertinente des références à Escher, comme nous allons pouvoir le constater.

Escher est un artiste illusionniste du 20e siècle dont les œuvres représentent de véritables casse-tête, en ce qu’elles ne semblent présenter ni début ni fin.

Relativity (1953), de M.C. Escher

Par la création d’une illusion de volume, Escher tente dans ses œuvres de faire reprendre conscience des notions d’espace, de volume, des lois mathématiques et physiques. C’est aussi le but de Christopher Nolan dans Inception, lorsqu’il fait explicitement référence à l’escalier de Penrose représenté par Escher.

Montée et descente (1960), de M.C. Escher | Inception (2010), de Christopher Nolan

En mobilisant avec virtuosité les ressources de la perspective, l’artiste remet en cause l’idée que cette perspective reflète l’organisation tridimensionnelle naturelle d’un espace : elle est en réalité un piège. Nous sommes bel et bien en présence d’un labyrinthe, dans le sens où il semble impossible de s’échapper. Dans Inception, la référence explicite à l’escalier de Penrose est la métaphore même du film : une mise en abyme qui induit par un effet de boucle sans cesse renouvelé, une perception vertigineuse de l’infini.

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